Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Farfalino
27 septembre 2007

Douce rêverie

17186379Je lui ai dit de se taire. Le babillage incessant de ma fille m'empêche de rassembler les pièces éparses du puzzle disloqué qu’est mon esprit. Elle est gentille, la dame qui s'occupe de moi, même si elle me saoule de ses mots. Pour me stimuler, me dit-elle. Elle ressemble à la jolie infirmière qui nous a soigné mes gars et moi pendant la guerre. Elle avait trois jolis grains de beauté dans le cou, parfaitement alignés. "Une, deux, une deux !" Je les imagine défilant au garde-à-vous sur les Champs Elysées. Ça me fait rire.

L'infirmière anglaise essaie dans son français de circonstance de me dire quelque chose à propos de mon bandage. "Mettez votre couverture, je vous dis !". Elle est gentille ma femme mais elle est folle, j’ai trop chaud. Je capitule et je m'enfonce un peu plus dans mon fauteuil. Il est tout neuf, je l'ai acheté ... Quand ? Avec qui ?  Je ne sais plus. Ma substance se vide dans le fleuve tranquille de ma rêverie.

Petitpied, mon poteau, doit être vert. J'ai une belle télé, en couleur, et toute plate alors que tout le monde en a une grosse en noir et blanc. Les images défilent sans que j'arrive à les comprendre. Mais cela n'a pas d'importance, ma mère est à coté de moi. J'aimerais qu'elle me berce.

Tout à l'heure, j'irais avec Petitpied à la rivière pour pêcher des cailles. Ma mère aime bien que je lui en rapporte, elle s'en sert comme pantoufles. J'ai aussi mes devoirs à faire. Des mathématiques ... enfin je crois. Tiens, je demanderai au bonhomme dans la télé. Il doit être fort, il connaît le dictionnaire par cœur et fait des calculs compliqués au tableau. J'applaudis en même temps que ceux qui sont assis derrière la télé, plate comme une caille. Ma fille applaudit aussi. Elle est gentille.

Non ce n'est pas ma fille, ni ma femme, ni ma mère, ni même l'infirmière de la guerre. Ils sont tous morts et moi je suis là, l’esprit aussi usé que le tissus de mon fauteuil.

La femme qui s'occupe de moi sèche la larme qui a coulé. Elle me fait boire un peu d'eau. Elle est vraiment gentille.

Ecrit pour la consigne 54 de Paroles Plurielles. Incipit  : "je lui ai dit  de se taire".

Publicité
Commentaires
A
Superbe texte, Farfalino. Il y a une éternité que je n'étais pas venu sur ton site, et j'avais tord!
Publicité