Mille et un écus
Ce texte m'a été inspiré par Eric. Je l'ai pensé comme un revers de médaille, l'autre coté d'un miroir déformant, un point de vue inverse. Vous pourrez lire ce texte très sensuel ici : http://larbreachat.wordpress.com/2013/10/17/119-mille-et-un-regards/
- On y va, les enfants !
S’il avait eu de la répartie, il aurait pu rétorquer au photographe que les enfants ne posaient pas nus dans des attitudes provoquantes, mimant l’orgasme et le désir, pour des hommes à la libido tourmentée. Quoiqu’en y réfléchissant, la pauvreté et la malchance en avaient toutefois précipité plus d’un entre les griffes de pervers avides.
Il frissonna. L’assistant, une ombre d’être humain, se leva de sa chaise et se traina vers le mur où il poussa un peu plus le chauffage du studio ; la chair de poule n’est pas photogénique.
Tout le matériel était en place. Son corps enduit de fond teint, les cheveux dépeignés avec soin, le torse épilé, le pubis fraichement rasé, l’œil coquin, il était prêt à être bombardé de la lumière qui le rendrait sublime et irrésistible. Ses premières attitudes réchauffèrent l’atmosphère et firent naitre la vibration nécessaire. Il tourna ses pensées vers Ophélie, sa petite amie, aux seins fermes, à la croupe généreuse et à la peau satinée. La séduire d’un regard de braise. Shlack ! L’attirer vers lui d’une œillade prometteuse de plaisirs. Shlack ! Ressentir l’appel de la chair. Shlack ! Laisser couler en lui le souvenir de leurs étreintes torrides. Shlack ! Shlack ! Shlack ! Tourner, croiser, plier, sauter, sourire, tordre, il prit au mieux les attitudes et les poses qu’il connaissait. Le photographe donnait des ordres à l’assistant poussif pour parfois opérer quelques changements et se bornait à stimuler sa proie photographique par de petites interjections suraigües.
- Oh oui ! Parfait ! Superbe ! Tu me donnes tout, chéri !
Il entendait déjà le rire cristallin de sa petite amie à la vue des billets qu’il ramènerait de la séance. Chaque déclenchement résonnait comme le bruit d’un tiroir-caisse qu’on remplissait. Bomber le torse. Cling ! Arrondir la croupe. Cling ! Ecarter les fesses. Cling ! Empoigner son sexe. Cling ! Caresser les cuisses et fermer les yeux. Cling ! Un doigt dans sa bouche canaille. Cling ! Il connaissait par cœur les attitudes qu’on attendait de lui pour susciter le désir des spectateurs. Cling ! Cling ! Cling !
Surtout il ne fallait pas qu’il pense à eux, à ces hommes pour qui son image serait la source d’un plaisir solitaire au fond d’un grand lit vide. Leur imagination enflammée le convoquerait à leur coté pour se rouler dans une luxure indécente et bruyante. Leurs mains moites et fébriles tourneraient les pages d’un magasine honteusement acheté dans une gare anonyme à la recherche du moindre centimètre de sa peau pour se satisfaire dans un râle humide et collant.
- Tu bandes mou, chéri ! Mets-y un peu de cœur et de cul. Sinon il va falloir que je te rallume !
La menace était réelle. Faire des photos dites de charme était le travail le plus facile qu’il avait pratiqué. Son corps musclé, généreusement doté par la nature, et sa belle gueule étaient ses seuls atouts. Une faible intelligence accompagnée d’une pesante paresse l’avait entrainé dans le royaume de la chair exposée. La faim et les coupures d’électricité lui avaient fait ravaler sa fierté pour accepter d’être filmé dans des pratiques sexuelles qui n’étaient pas les siennes avec des gym-queen exaspérantes, accompagnées en gros plan de la grimace d’un orgasme simulé.
Ophélie mais aussi Karine aux seins énormes, Nathalie à la bouche gourmande et avide, Kindra, la panthère noire aux fesses rebondies, lui firent retrouver la flamme et la vigueur dont devait se repaitre le replet photographe efféminé. Oubliés l’assistant squelettique au nez enneigé, les craquelures sur les murs du studio, le sifflement du chargement des flashs, l’odeur de mazout de la chaudière toute proche. Il interprétait à la perfection son rôle d’homme offert à chacun et à tous, charmeur, provoquant, un rien hautain, un sourire à la fois enfantin et lubrique.
- Ah voilà, c’est beau ! C’est bon ! Vas-y mon chéri ! Tu es sublime !
Le loyer payé, il faudra qu’il pense à acheter des fleurs avant d’emmener Ophélie au restaurant. Il avait hâte d’oublier cette dure journée de labeur dans une étreinte passionnée.
Cling ! Cling ! Cling !