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Farfalino
6 février 2007

Souillure

Autre variation sur la même consigne.

- Je suis restée une heure environ dans la salle de bain.

L'inspecteur contempla la jeune femme aux longs cheveux noirs encore mouillés, le visage défait comme un chantier inachevé. Elle tremblait un peu dans la couverture, un bouclier inutile contre l'horreur. Sa voix était basse avec un petit voile qui aurait pu la faire passer pour une italienne si elle n'avais pas cet accent charmant et ne grattait pas ses r.

- et vous n'avez rien entendu ? s'étonna l'inspecteur
- non. J'avais mis la radio un peu fort. Je crois qu'un des voisins a frappé avec un balais.
- et ?
- j'ai enfilé un peignoir et j'ai mis une serviette autour de mes cheveux. Et puis, je suis sorti pour aller dans le séjour et là ... je l'ai vu ... oh mon dieu ! Si j'avais pensé un seul instant ...

Elle enfouit son visage en sanglottant de plus en plus en fort, le corps parcouru de spasmes incohercibles. L'inspecteur reprima un élan de compassion et soupira. "On ne sait jamais ce que ceux qui nous aiment nous réservent" pensa-t-il en voyant les infirmiers refermer le sac mortuaire sur un visage violacé, la langue noire pendante, une ceinture autour du cou.

- il vous faudra venir demain matin pour faire votre déposition. Vous connaissez quelqu'un d'autre ici, pour ce soir ?
- nous avons des amis à Rome. Si vous me le permettez, je vais les appeler.
- faites, l'identité judiciaire a terminé.

La jeune femme se leva lentement et chercha la porte de la chambre du regard d'une noyée dans ses larmes. L'inspecteur savait qu'effectuer des tâches simples et quotidiennes permettait de reprendre pied dans la réalité. Le peignoir à peine habité par un fantôme glissa vers ce qui devait être la chambre. L'inspecteur s'assied dans le fauteuil et salua ses collègues qui rentraient sans doute chez eux.

Elle réapparut vêtue d'un jean et d'un gros pull noir, les cheveux attachés par un élastique, les traits encore tirés et bouffis par le chagrin, une madonne moderne à qui l'inspecteur aurait donné le bon dieu sans confession.

- ca va aller ? vous avez prévenu vos amis ?
- oui, je vous remercie. Ils viennent me chercher.
- je peux attendre jusqu'à leur arrivée si vous le souhaitez.
- je ne voudrais pas vous retenir. Elle souria un peu malgré elle, forcée par les convenances qui devaient corseter sa vie de grande bourgeoise. Mon amie est médecin, elle saura s'occuper de moi
- je vous dis donc à demain.

L'inspecteur rajusta à regret  son imperméable, et prit délicatement la main tendue de la femme. "Bonsoir inspecteur". Il ne répliqua pas, ce n'était pas un bon soir pour elle. Il quitta l'appartement qui était redevenu calme après le brouhaha des pompiers, des policiers et des infirmiers.

Sa voiture était toujours là. L'inspecteur jeta un regard interrogateur en direction d'une des fenêtres. Comment ce monsieur, aussi vieux et aussi gras que lui-même, se suicide alors qu'il est aimé par cette femme douce, belle et au romantisme à fleur de coeur ?

Il fit claquer la portière, un peu rageur, un peu pressé par l'envie de fumer. Satané pays.
Il sortit une longue cigarette au menthol. La fumée envahit l'habitacle de sa Fiat de fonction.

Dans les brumes mentholées, l'inspecteur ne comprit pas ce qu'il voyait par le pare-brise. La veuve éplorée sortit en courant avec un téléphone portable à l'oreille. Elle se dirigea dans la ruelle attenante. Un homme, la trentaine, barbu, les cheveux un peu long, avec un blouson mastic attendait sur une vespa blanche. Elle prit le casque posé sur la selle, rangea rapidement le portable et grimpa sur la moto. Par réflexe, l'inspecteur tourna la clef et commença à suivre le couple qui filait à vive allure.

Tout s'était déroulé comme prévu. La perruque la grattait. Bientôt, la police découvrirait que sa femme a vidé tous les comptes et qu'elle avait disparu, en ayant tué son mari. La mission était remplie, son âme était un peu plus souillée, ses mains sentaient la mort qu'elles avaient donnés si souvent. L'homme sur la moto n'était pas son amoureux, elle n'était pas insouciante, Rome lui était indifférente. "On a un problème. Le flic nous suit". Pauvre homme, pauvre grain de sable qu'il va falloir balayer au nom de la raison d'un autre état. Elle avait vraiment hâte de prendre un bain.

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