Le massacre des lombrics
Il y a quelques semaines, un de mes amis m'appelle. Il me demande si nous étions libres pour le 14 juillet. Je réponds par l'affirmative, bien que sur mes gardes. Ce n'est pas dans ses habitudes de m'appeler pour rien, même si nous nous voyons quelques fois par an. En substance, il me demande si nous pouvions l'aider à creuser les fondations pour la future terrasse.
Je ne déborde pas d'enthousiasme. Mon compagnon non plus. Je n'ai aucun goût
pour les travaux manuels et le bricolage. D'abord je ne suis pas très habile de
mes mains et je ne suis pas très physique. Je sens que cela va être dur mais,
comme je suis bon camarade, j'accepte de l'aider en limitant à une
journée et demi de travaux. Notre ami commun, compère et complice habituel sera là.
Presqu'à l'heure dite, je passe les péripéties qui nous ont retardés sur la route, nous
arrivons sur le chantier et je mesure l'étendue de la tâche et de la nouvelle
terrasse.
Ce que je craignais est arrivé après une demi-heure d'acharnement sur la pioche
: mon dos me lâche. Je n'ai même pas mal, juste plus aucune force; la pioche ne
fait qu'effleurer la terre, et les pelletés sont presque vides. Alors je me
rabats sur les brouettes. Je remplace au pied levé mon compagnon dont la
migraine, qui pointait déjà son nez à Lille, ne fait qu'empirer. Mon dos étant peu sollicité, je parviens à faire
transiter la terre extraite du chantier de la terrasse vers le fond du
poulailler. Les femmes s'occupent des
loupiots. 3 heures plus tard, j'étais vermoulu. Un petit séjour dans la
piscine nous remet d'aplomb.
Après une nuit bienfaitrice, le lendemain, nous redémarrons assez rapidement. Les
courbatures s'estompent et le cortège des brouettes recommence de plus belle, sous un soleil pesant mais agrémenté d'un petit vent raffraichissant.
Contre toute attente, mon compagnon prête main forte. La terrasse sort de
terre.
Pendant que mes muscles travaillaient, je pensais à autre chose. Je pensais aux
milliers de lombrics coupés en deux par les pelles et les fourches, et ensuite
déménagés de force au fond du jardin, au fond de l'univers pour eux. Tout cela
m'a paru bien cruel. Je réfléchissais aussi à ma prochaine histoire, à ses
personnages et aux mots que j'allais y mettre. C'était la seule façon pour moi
de supporter cette torture physique, si loin de mes occupations habituelles.
Nous nous avons plaints les personnes qui faisaient ces travaux de bête de
somme, toute la journée et pour des clopinettes. Nos mains de tertiaires ont
pas mal souffert malgré les gants prêtés par le voisin. J'en ai profité pour noter quelques techniques dont j'allais
avoir besoin dans quelques temps, en Italie. Je me suis réjouis d'avoir perdu 45 kilos. De toute façon, à presque 170 kilos, je n'aurais pas été très utile.
Quand nous sommes partis, nos corps n'étaient plus que douleurs, malgré un séjour régénérant dans la piscine, mais à 4, en à
peine 8 heures, la terrasse était prête à recevoir les débris et les caillasses
qui devaient constituer "l'hérisson", la couche intermédiaire entre la dalle et
la terre si j'ai bien compris, et le trou périphérique pour les fondations du
muret étaient presque terminés.
Dans un reportage, j'avais vu un paysan, plein de bon sens, "la santé
c'est l'oubli des organes". Mais, les douleurs du corps sont la meilleure preuve qu'on est en vie !