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Farfalino
23 octobre 2008

Le début de l'hiver

FeuilleArbreLa dernière note retentit, suspendue dans les airs pour s'évanouir comme un cauchemar au petit matin. Le vieil homme referma délicatement le couvercle du piano pour ne pas briser le silence glacial qui avait fait place, puis caressa le bois verni comme si c'était l'épaule d'un cher ami qu'il ne reverrait plus. Il se leva, repoussa le tabouret et marcha lentement sans se retourner vers le fauteuil devant la télé.

Il ne jouerait plus jamais du piano. Il ne voulait plus entendre ce cortège, un peu funèbre, de fausses notes au placement incertain. La chose musicale lui était trop sacrée pour la bâcler, l'étriller, la défigurer par des couacs dissonants. Il s'était rendu à l'évidence : il n'était plus capable d'interpréter une œuvre avec le respect qu'il jugeait nécessaire. S'acharner et préserver des lambeaux de son talent serait pathétique, injurieux même envers  la musique et au pianiste qu'il était.

Le vieil homme se cala dans son fauteuil et se tourna vers la fenêtre où les dernières feuilles maronnasses tombaient des arbres impudiques. Son petit-fils allait venir dimanche pour les ramasser. C'était un bon garçon. Il lui avait également promis de venir jouer le nouveau morceau qu'il venait d'apprendre car il était aussi un très bon pianiste. Le grand-père en était fier : la relève était assurée.

La maison était tranquille ; il pouvait entendre le chat ronronner. Le pianiste devenu trop vieux pour jouer alluma sa chaine hifi et les premières notes du prélude de Bach résonnèrent dans la pièce. Il ferma les yeux et laissa son esprit s'imbiber des notes magiques, un peu nostalgique de temps révolus.

Un frisson le parcourut. Il mit sa petite couverture sur les genoux. L'hiver s'était vraiment installé.

Ce texte m'a été inspiré par l'histoire du grand-père d'un copain. Il avait subitement arrêté de jouer du piano, un jour sans doute où il avait constaté qu'il ne pourrait plus jouer suffisamment correctement. J'ai repensé à cette histoire en ratissant mon jardin jonché de feuilles mortes.

(Note du 16/08/2009 : j'ai corrigé quelques imperfections)

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Commentaires
M
Je n'ai pas grand chose à rajouter, les autres ont déjà tout dit. C'est une très belle association des thèmes (arrivée de l'hiver et de la vieillesse, art, famille), qui rend presque banal un moment dramatique de la vie. C'est en effet une journée très ordinaire qui est décrite, journée froide d'automne comme il y en a tant, et un moment difficile où la personne se rend compte que son corps de lui permet plus de faire autant de choses qu'avant. Écrit dans un style très poétique.
F
@Laurence : le manque de lumière, la chaleur qui s'enfuit, les fleurs qui fanent ... Comme si la mort prenait ses quartiers. Voilà peut-être pourquoi une certaine tristesse peut venir.<br /> <br /> @Lidia et @Lancelot : merci
L
Eh ben, je dois avouer que tu m'en as bouché un coin.<br /> C'est bien écrit, poétique, concis, équilibré, harmonieux....<br /> C'est... félicitations !
L
Ce n'est pas l'hiver mais Tous les hivers d'une vie qui ont le pouvoir d'arrêter certaines choses. La vieillesse est une imbrication de saisons qui pèsent sur nos corps en les rendant presque immobiles.<br /> Bravo Farfalino, tu as su avec art raconter l'existence.<br /> C'est très beau.
L
Je me demande pourquoi cette association: la tristesse de l'automne qui revient avec son sentiment d'abandon et de solitude
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