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Farfalino
8 août 2008

L'absente

Au début des vacances, en Italie,  étaient présents mes deux frères et leur famille, mon amoureux et mes parents.

Ma sœur n'était pas là. Elle ne veut plus y venir car pour elle, toutes les personnes qu'elle connaissait ont disparu et cela la rendrait nostalgique. Pour moi aussi, cela me parait très étrange d'être dans la maison et de ne pas voir débarquer ma grand-mère avec sa canne pour étendre son linge sur la terrasse de ma chambre. C'est la vie et tellement banal.

Comme l'ambiance était bonne, je lui envoyai un SMS pour lui dire qu'il ne manquait qu'elle. C'était dans mon esprit un message pour lui dire "tu vois ici, il n'y a pas que des souvenirs, il y a aussi de la vie et c'est une autre époque qui commence". Elle me répondit du bout du clavier. Je ne savais pas la suite.

Ma soeur était officiellement enceinte depuis début juin de son compagnon que j'avais perçu comme gentil lors du mariage de mon frère. Il la soutenait dans la guerre de tranchée qu'elle mène depuis 3 ans avec son ex concernant leur séparation et la garde de leurs deux enfants etdans la guérison des problèmes psychologiques dont elle est perclue (phobique, maniaco-dépressive, bipolaire etc).

Quand elle est tombée enceinte, à la demande de son compagnon, je savais qu'elle commençait un nouveau travail, enfin en CDI, elle était donc en période d'essai. Ma première réaction a été de répondre "n'importe quoi" au SMS envoyé par ma mère pour m'informer de la nouvelle : pourquoi ne pas avoir attendu une année au moins, pour se stabiliser émotionnellement et professionnellement, et récupérer d'abord ses enfants ?

Mais c'est sa vie et de toute façon elle n'a jamais tenu compte de mon avis ni celui des autres.

Un soir, dans la première semaine des vacances, alors que nous étions à table, ma mère reçut un appel. Elle s'isola dans la cuisine. Curieux, ma mère ne faisait jamais cela. Je prétextai pour la rejoindre de ramener un plat vidé par la tablée, et de venir prendre le fromage et les desserts.

Elle fasait une drôle de tête et marchait autour de la table ronde de la cuisine. Je compris à demi-mots qu'il s'agissait de ma soeur. Je lui demandai alors si son bébé allait bien. Ma mère me répondit par l'affirmative en me signifiant clairement que j'étais de trop. Je battis en retraite.

Elle revint la mine fermée et dure qui la faisait tant ressembler à sa mère (cf un autre billet).

Le lendemain, pendant une des rares escursions de ces vacances, mon premier frère me révèla que ma soeur allait se faire avorter le lendemain. Je ne compris pas trop comment il l'avait su. Peut-être que était-ce lui qui avait incité ma soeur à appeler ma mère.

Cela me fit un choc. Je ne pus pas m'empêcher de porter un jugement sévère : elle continuait dans le grand n'importe quoi.

Comme je n'aime pas rester avec les non-dits, je pris ma mère entre quatre yeux et je lui demandai sans détour si elle avait plus d'informations. Ma mère m'expliqua que ma soeur ne se voyait pas assumer une grossesse maintenant (Tout de même, elle aurait pu s'en apercevoir avant de faire retirer son implant contraceptif) et que les relations avec son compagnon étaient sans chaleur, sans passion et sans attention. Ma soeur allait le quitter devant son manque de réaction quant à sa décision. Et puis ma soeur n'aime pas la campagne et aurait préféré vivre en ville (Il y a quand même pire que de vivre à Sète). Ma mère me demanda de ne pas en parler pour ne pas gâcher les vacances.

A table, je fus de mauvaise humeur et aussi très amer. Comment une chose aussi importante pouvait être tue ? Tout le monde baffrait et plaisantait comme si de rien n'était, respectant l'omerta demandée par ma mère et sans doute mon père. Quelle étrange famille nous faisons !

Après le repas, je tentai de joindre sans succès ma soeur par téléphone. Je lui envoyai un long SMS pour lui dire que j'étais avec elle en  pensée et que j'espérai qu'elle ne fusse pas seule. J'avais l'impression d'un immense gâchi. Je pensai aussi à ce petit être qui ne verrait jamais le jour et qui finirait une poubelle. Elle a le droit de disposer de son corps; il n'y a pas d'ambiguïté mais il y a un fossé entre approuver intellectuellement sans réserve cette liberté et les émotions qu'un tel acte fait naître.

Elle m'informa qu'elle allait bien, qu'elle avait enfin les idées claires, que cela lui permettrait d'avancer, et qu'elle allait à la clinique, sans être accompagnée; son futur ex-compagnon étant en vacances en Ardêche, ses copines absentes.

Je l'imaginais seule dans une maison qui serait bientôt plus la sienne, accompagnée des crissements des cigales, préparant soigneusement sa valise et son dossier médical. Puis elle prendrait un taxi anonyme pour se rendre à la clinique, avec la volonté et l'assurance d'avoir fait le bon choix. Après l'opération, elle resterait toujours seule, peut-être face à son soulagement ou à ses regrets, comment savoir.

Si j'avais eu assez d'argent, j'aurais fait la route jusqu'à Montpelliers pour ne pas la laisser seule. J'ai passé une très mauvaise nuit.

Le lendemain, par SMS, elle me rassura sur le déroulement de l'avortement  et de son état psychologique. Le surlendemain, elle me souhaita un bon anniversaire et me dit qu'elle allait bien.

Revenu en France, je l'appelle demain, ça fait maintenant quinze jours que je ne sais pas trop où elle en est.

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Commentaires
L
Oui, appelle la demain...<br /> Cet avortement va être une nouvelle souffrance qui s'imbriquera aux autres. Une mère seule et fragile psychologiquement a besoin de béquilles, tu sais, ce genre de cannes bien utiles pour t'aider à rester debout, à ne pas tomber...
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