Bon anniversaire
Putain j'ai 40 ans aujourd'hui. Je vais descendre inoxérablement la pente vers une sénilité débilitante pour atteindre le point final, celui du grand saut dans le vide ... ou le paradis, ou l'enfer, c'est selon.
Putain, j'ai 40 ans et pourtant je n'ai pas la sensation d'avoir vécu aussi longtemps. Hier j'étais un enfant; hier j'étais un adolescent ... Hier ... Ma vie est plate comme la terre que je laboure. Je m'abrutis toute la journée et toute l'année tuant à petit feu la flamme qui m'anime, me battant contre la Nature, les technocrates de Bruxelles, les maladies, l'augmentation du pétrole et des traitements, ... Je ne possède même pas la ferme que j'exploite.
Putain j'ai 40 ans et j'ai une femme qui se ratatine comme une pomme oubliée dans la remise, des enfants aussi crétins qu'incapables, des voisins qui oublient les services que je leur rends, des amis de chasse, viandards et pochtrons, des vrais caricatures pour écologistes forcenés, une famille qui ne tient que par la haine et les histoires de gros sous.
Putain, j'ai 40 ans et ils sont tous là, dans la grange, pour fêter l'événement qui me fait basculer dans l'âge mûr à en devenir blet, prêts à dévorer les magnifiques salades de lentille et de pâtes, accompagnées du pâté fait par ma femme et d'une piquette bon marché.
Putain, j'ai 40 ans, et voilà le gâteau pour le futur gâteux, illuminé comme ma vie est sombre. Je dois maintenant souffler pour éteindre ma jeunesse dont la flamme vacille sous la clameur de la chanson de circonstance. J'en suis incapable. Ils m'encouragent. Ils se repaissent de mon désarroi. Ils sont là, derrière, rigolards, ils tentent de me pousser dans le vide, je résiste mais je trébuche, je ne peux plus reculer, le bord du gouffre se rapproche. Je cris, les 40 flammèches s'éteignent d'un coup.
Applaudissements. Les lumières se rallument. On lève le verre de mousseux à ma santé dans une grasse clameur.
Putain, j'ai maintenant vraiment 40 ans. Ils hurlent "Les cadeaux, les cadeaux !" J'ouvre des paquets trop grands pour ce qu'ils contiennent, ça fait plus riche. Oh, le joli cendrier en pot de yaourt de ma fille ! Oh, un nouveau rasoir électrique ! Oh, un cachet de viagra, comme c'est drôle ! Oh un nouveau fusil !
Belle arme, légère mais pas trop, équilibrée, pile poil à ma taille. Je mets deux cartouches très tranquillement, en faisant semblant d'être joyeux. J'épaule,je vise et je tire. Et je tire. Je recharge et je tire encore ... J'efface de leur mine avinée le sourire figé dans une bête incompréhension ... Tiens, prends ça pour ne pas m'avoir remboursé, tiens, prends ça toi aussi ...
Et maintenant une pour moi, dans la gorge, histoire de répandre ma cervelle sur le mur gris de la ferme en location, comme un dernier trait de couleur sur une toile trop sombre.
Putain, j'avais 40 ans.
Pendant mon week-end à Vierzon, nous avons fêté les 40 ans du beau-frère de mon compagnon, un agriculteur. Ce qui m'a interpellé c'était le fusil en cadeau. C'est bête mais c'était la première fois de ma vie que j'approchais une arme à feu d'aussi près. Le reste de ce petit texte est une complète fiction. D'ailleurs je suis là pour l'écrire :)