Le prédateur
Ce que je venais de dire à la vieille marquise Guy de Ruy était l'exacte vérité pourtant elle me contemplait là, incrédule, les yeux écarquillés, la chair pâle et flasque, les traits défaits, les lèvres entre-ouvertes promptes à laisser échapper une dénégation qui tardait à venir. "Mon fils ne peut pas être ce que vous dites monsieur, un ..., un ..." les mots infâmes ne purent sortir de son double-menton, elle les étouffa dans un gargouillis infect.
"Mais enfin madame, comment osez-vous nier l'évidence ? Il a 20 ans, il ne
lutine pas avec les femmes de chambre et les soubrettes, on ne lui connait
aucune liaison, on ne l'a jamais vu dans les maisons de mœurs légères ... Votre
fils madame est un pédéraste !". Elle eut un haut le cœur et ses yeux se
révulsèrent. "Comment osez-vous ? Vous qui n'êtes qu'un débauché qui
couche autant avec les femmes qu'avec les hommes ? Mon fils n'est pas de votre
engeance !"
Il fallait que je lui explique et je lui dévoile la vérité qu'elle faisait
semblant d'ignorer. "La peau de votre fils est très douce et parfumée
comme celle d'une femme. Ses gestes sont tendres, sa bouche pulpeuse et adroite.
Son fessier bien agréable ...".
La veille marquise s'empourpra puis s'affaissa lentement sur ses genoux, une
mèche tomba grossièrement sur ses yeux exorbités, la bouche claquant comme
celle d'un poisson hors de l'eau. Elle tomba à la renverse, sans bruit, dans la
soie de sa robe et ses dessous en dentelle.
Je m'agenouillai et je me penchai sur elle. Aucun souffle ne s'échappait de ce
corps flasque. Je sortis rapidement une petit glace et l'absence de buée me
confirma que, comme prévu, son vieux cœur aussi usée que sa perruque avait
cessé de battre. Je lui fermai les yeux et je me relevai.
Je lançai à son fils, le désormais Marquis de Ruy, qui se tenait tremblant à
quelques pas derrière moi. "Viens, allons dilapider un peu de ton nouvel
héritage chez mes amis. Le vin et les pages te feront oublier ton deuil.
Laissons aux domestiques le soin de trouver la dépouille de madame ta mère".
Je le pris par la main et il me suivit sans hésitation dans un petit rire maniéré.
Un petit texte tardif et donc non publié de la consigne 52 de Paroles Plurielles