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Farfalino
18 août 2009

Bon anniversaire ! (version 2)

Putain j'ai 40 ans aujourd'hui. Je vais descendre inexorablement la pente vers une sénilité débilitante pour atteindre le point final, celui du grand saut dans le vide ... ou le paradis, ou l'enfer (rayer la mention inutile).

Putain, j'ai 40 ans et pourtant je n'ai pas la sensation d'avoir vécu aussi longtemps. Hier j'étais un enfant; hier j'étais un adolescent, hier je sortais de l’école, hier je me mariais, hier mon fils naissait... Hier ... Tous ces hier constituent ma vie plate comme la terre que je laboure. Je m'abrutis toute la journée tuant à petit feu la flamme qui m'anime, me battant tour à tour contre la Nature, les technocrates de Bruxelles, les maladies, l'augmentation du pétrole, ... Je ne possède même pas la ferme que j'exploite. Aujourd’hui est aussi pourri qu’hier et autant que demain.

Putain, j'ai 40 ans et mes rêves d’enfant sont en charpies dans la fosse à fumier dans laquelle je vis. Je voulais être cosmonaute, quelle blague ! Je creuse la terre plutôt que de m’envoler dans les cieux. Je me prépare un avenir tout aussi insipide et inodore. Quoique la bouse de vaches …

Putain j'ai 40 ans et j'ai une femme qui se ratatine comme une pomme oubliée dans la remise, des enfants aussi crétins qu'incapables, des voisins oublieux des services rendus, des relations de chasse, viandards et pochtrons (des vraies caricatures pour écologistes forcenés), une famille qui ne tient que par la haine et les histoires de gros sous. Pas un pour racheter l’autre.

Putain, j'ai 40 ans et ils sont tous là, dans la grange, endimanchés comme l’as de pique, assis bien serrés sur des bancs devant une nappe en papier moche, prêts à dévorer les magnifiques salades de lentille et de carottes, accompagnées du pâté fait par ma femme, un amas fade, avarié et spongiforme (Le pâté, hein, pas ma femme !). Une piquette bon marché vendue en brique fera passer le tout à l’égout. Ils fêtent l'événement qui me fait basculer dans l'âge mûr à en devenir blet. Et ça rigole ! Et ça picole ! Et ça se gondole !

Putain, j'ai 40 ans, et voilà le gâteau pour le futur gâteux, illuminé comme ma vie est sombre. Je dois maintenant souffler pour éteindre ma jeunesse dont la flamme vacille sous la clameur de la chanson de circonstance. J'en suis incapable. Ils m'encouragent. Ils se repaissent de mon désarroi. Ils sont là, hilares et huants, pour me pousser dans le vide, je résiste, je trébuche, je ne peux plus reculer, le bord du gouffre se rapproche. Je cris, les 40 flammèches s'éteignent d'un coup.
Applaudissements ! Les lumières se rallument. On lève, dans une grasse clameur, le verre en plastique rempli de mousseux à ce qui reste de ma santé.

Putain, j'ai maintenant vraiment 40 ans. Ils hurlent "Les cadeaux, les cadeaux !" J'ouvre des paquets trop grands pour ce qu'ils contiennent, ça fait plus riche. Oh, le joli cendrier en pot de yaourt de ma fille ! Oh, un nouveau rasoir électrique ! Oh, un cachet de viagra, comme c'est drôle ! Oh une nouvelle carabine ! Oh, la nouvelle cartouchière en cuir d’occasion !
Belle arme, lourde mais pas trop, équilibrée, pile poil à ma taille, qui tombe bien sur l’épaule, avec des jolis dessins de gibiers bientôt morts. J’ai bien choisi ! Je mets deux cartouches très tranquillement ; je suis joyeux. Les rougeaux goguenards m’interpellent et m’exhortent à tirer de plus belles proies que ma femme, se moquant de ma maladresse bien connue parmi ces cons.

J'épaule, je vise une tête et je tire. Et je tire. Je recharge et je tire encore ... J'efface de leur mine avinée le sourire figé dans une bête incompréhension. Je les ajoute à mon tableau de chasse. Je les imaginerais bien au-dessus de ma cheminée dans un joli cadre en bois vernis, ébaubis, les yeux grands ouverts, la bouche ouvert et stupéfaite ... Tiens, le Marcel ! Prends ça pour tes dettes ! Tiens, le Jean-Claude ! Prends ça toi aussi pour l’élevage de poulets qui me fait concurrence ! Tiens Jeannine, ma très chère sœur qui a réussi à me piquer l’héritage de la vieille ! Tiens ma femme ! Tiens, ma gourde de fille ! Tiens mon vraiment très cher fils à la scolarité onéreuse ! …

Les douilles tintinnabulent sur le sol comme pour fêter chaque âme que j’expulse de mon enfer.

Ca sent la poudre et le sang. Ils sont tous là pour mes 40 ans, la grimace joyeuse figée pour l’éternité.

Leur compte est bon ! Il reste une seule balle. Elle est pour moi, dans la gorge, histoire de répandre ma cervelle sur le mur gris de la ferme en location, comme un dernier trait de couleur sur une toile trop noire.

Putain, j'avais 40 ans.

Version largement augmentée d'un texte écrit précédemment qui ferait bien dans un recueil de nouvelles qui s'intitulerait "Déraillements" :)

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Commentaires
D
j'adore ce texte ^^<br /> bon perso j'ai aucun problème avec mes fêtes d'anniversaire, je dirais même plus pour moi c'est à chaque fois un combat disons que tant que je me sent plus forte que la nature ça roule, le jour où les gens invité ne s'étonneront plus du vrai âge que j'ai, peut être que ça me déprimera un peu. par contre, je ne pense pas avoir grand chose à regretter dans ma vie pour le moment. Hum peut être 5 ans de perdus avec un con et une enfance pas très drôle mais à y réfléchir, j'ai jamais été aussi heureuse que ces dernières années donc... ^^
F
ca va. beaucoup de travail. un peu stressé.<br /> j'espère que tu vas bien toi aussi.<br /> Bises
L
Je passais pour te dire bonjour.<br /> J'espère que tu vas bien.
B
C'est à la fois plein d'humour et angoissant. Le mieux est d'arrêter de compter, j'ai commencé assez tôt et cela fait des miracles ;-)
L
Et la musique, en toile de fond...? "Hier encore, j'avais vingt ans" d'Aznavour....? ;-)<br /> <br /> Le coup du cachet de viagra, ça m'a beaucoup fait rire, personnellement j'y aurais jamais pensé !<br /> <br /> Ce que j'aime bien dans tes écrits, c'est les petits détails "et ça rigole, ça picole, ça se gondole"... ou bien les douilles qui "tintinabulent" sur le sol... :-D<br /> <br /> (au fait,si ça se passe comme ça chez toi, je préfère ne pas être là pour tes 41 ans... gloups...)
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